Messe 35 ans + Dîner, Promo 1980
Date : 26/12/2015
Heure : 18:00
Lieu : Crypte et Salle Michel Eddé, CSCS
Les 35 ans de la Promo 80 ou… Une parenthèse enchantée
Il faut croire qu’un jour ou l’autre, quels que soient le temps écoulé et la distance prise, Jamhour finit par vous rattraper… C’est pourquoi je ne fus qu’à moitié étonnée lorsqu’en cet automne parisien encore doux et ensoleillé, ma boîte enregistra un courrier entrant au nom de Joseph Otayek…
Ce patronyme surgi des replis du passé me laissa songeuse et hésitante, car aucun visage ne venait s’y superposer. Mais le titre du mail ne laissait place à aucun doute : « Dîner des 35 ans de la promotion 80 » disait l’intitulé. Puis, « Chères amies, chers amis. Comme nous l’avions annoncé plus tôt en juin, nous organiserons notre dîner de retrouvailles le 26 décembre 2015… ». Mon destinateur y parlait d’un Mémorial des Martyrs, d’une messe en mémoire de Maroun Farhat, du père Dalmais, d’espace Michel Eddé et de dîner assis…
« Zouzou » ! Ce diminutif résonna tout seul dans ma tête et les lambeaux épars de ma mémoire se mirent à se rassembler comme par enchantement. Au lendemain de Noël, je serai certainement à Beyrouth, alors pourquoi ne pas aller faire un tour du côté de la colline patiente, celle qui vit grandir des générations d’enfants du pays qui essaimèrent ensuite aux quatre coins du monde ?
19h30, jardin de l’église, Mémorial des Martyrs.
Me voici debout dans la nuit orientale, face à la vague verticale aux 70 noms de feu. La vague est brune, faite de vide et d’acier. Brune comme la déferlante qui ravagea cette terre des années durant, vide comme l’absence de ceux qui sont partis trop tôt, trop vite, trop brutalement. Acier comme la lame du souvenir, qui transperce les coeurs aimants. De ces 70 là, je ne connais que quelques noms, quelquefois des photos, mais nulle voix et nul rire ne viennent percuter ma mémoire. Et pourtant, ils ont emprunté les mêmes allées, se sont assis aux mêmes bancs, ont écouté les mêmes professeurs, ont sans doute fait les mêmes blagues et ri des mêmes bêtises que moi, que nous tous…
Des ombres un peu plus loin… quelle ironie de se retrouver dans l’obscurité après 35 ans d’absence ! Je ne reconnais personne, ont-ils tellement changé ou suis-je au mauvais endroit ? Mais bientôt, la cohorte se dirige vers l’église, coupant court à mes interrogations.
Voici le père Dalmais, à peine changé, hormis ses cheveux blancs. Est-ce l’Orient qui conserve ou appartient-il à cette race d’hommes sur qui le temps a si peu de prise ? Ce n’est que durant la communion que je commence à reconnaître certains de mes anciens camarades que je retrouve joyeusement à la sortie de la messe : Hana, Laure, Nada, Amine, Nabil, Jimmy et les autres… Des Haaa et des Yiii fusent de partout, des bises sonores, des éclats de rire, et nous oublions notre gravité en nous acheminant cahin-caha vers nos voitures, afin de redescendre vers le Centre Sportif et l’espace Michel Eddé.
Là, pleine lumière sur les visages et les silhouettes. Le temps n’a épargné personne, à commencer par moi. Nous nous regardons, nous dévisageant parfois, et certains, amènes, trouvent bon de rappeler leurs noms. 35 ans m’ont tenue éloignée de ces camarades de classe, et je suis impatiente de les entendre, de les interroger, de savoir ce qu’ils sont devenus, ce qu’ils ont fait de leur vie, de leur temps, de leur énergie. Je déplore de ne pouvoir m’asseoir à côté de tous à la fois, pour leur parler à bâtons rompus et rattraper le temps enfui.
Heureusement que « Zouzou » remédie à ma frustration en demandant à tous les anciens de la promotion de venir au micro dire deux mots sur leur parcours personnel et professionnel. Entre la poire et le fromage, nous avons tous le temps de nous exprimer, certains brièvement, d’autres plus amplement, en racontant une blague, déclamant un poème ou charriant d’anciens voisins de classe. Étonnante cette propension des êtres à rester les mêmes jusqu’au bout, nonobstant les difficultés du parcours et les aléas de la vie. La même arithmétique se recrée comme par magie entre anciens « potes », et les mêmes affinités électives font se rapprocher certains autres, au détour d’une remarque ou d’une répartie. Nous aimerions que ce moment dure, ou que le temps suspende son vol, nous gardant, insouciants et heureux comme des adolescents, dans le giron de notre Collège.
Mais bientôt minuit sonne à mon heure. Alors, avant que mon carrosse ne redevienne citrouille et que mon cachemire ne tombe en loques, j’embrasse les uns et les autres en faisant mille promesses de retrouvailles, jette un coup d’oeil plein de regrets au mirifique buffet à peine entamé, et m’engouffre, solitaire, dans ma voiture, antichambre au métro parisien dont j’ai fait mon seul et unique moyen de transport, il y a 35 ans déjà…
Mona Nassif
Promo 1980